La photographie émerveillée.

L’image qui montre le monde sans fard, de même que celle renvoyée par un miroir, a quelque chose d’insoutenable. Les anciens le savaient qui, en période de deuil, recouvraient d’un voile les miroirs situés dans la maison du défunt. Les vivants se protégeaient ainsi du reflet de leur apparence et de la mort qui se cache derrière. Dans notre société où l’image passe en boucle sur les écrans, quelques personnes s’efforcent de se déprendre de la fascination ambiante pour travailler avec ce qui se dérobe. Éric Marais est de ceux-là. À l’heure où les cartes mémoire des appareils numériques permettent de prendre des centaines de photos en quelques minutes, lui pratique la photographie avec gravité.

Les mystères de la chambre noire.

Cette conception lui vient-elle du sténopé dont il a fait sa technique ?
Était-elle en attente de pouvoir s’exprimer grâce au plus simple des procédés photographiques ?
La modestie de cette technique s’accorde en tout cas avec l’humilité du photographe qui constate avec chaque sténopé que l’image se forme dans la boîte noire indépendamment de lui et qu’il n’est au final que l’opérateur d’une action merveilleuse.
Car Eric Marais continue d’être émerveillé par la photographie. Miracle de l’image qui apparaît ! On sourit aujourd’hui de voir les ectoplasmes capturés par les premiers photographes lors de séances d’occultisme ; on ne comprend plus l’angoisse de ces indiens qui croyaient que les chambres noires des hommes blancs leur volaient l’âme ; on s’étonne toutefois en notant qu’image est l’anagramme de magie...

Il y a de l’étrangeté dans les photographies d’Éric Marais, un je-ne-sais-quoi d’insondable propre aux genres et aux sujets qu’il traite. Ce sont des portraits, personnages troubles émergés de noirs profonds, présences évanescentes au charme quasi médiumnique. Ce sont des vues sous influence néo-gothique de pierres tombales et de croix rapportées de cimetières anonymes (Vita Mors). C’est un visage, celui du Christ peint par Jan Van Eyck, dont le regard d’une infinie mansuétude s’estompe au fil d’une série intitulée Ecce homo, nouvelle méditation sur la condition humaine.

Oserait-on dire qu’Eric Marais pratique la photographie en moraliste et que ses photographies se prêtent volontiers à des exercices spirituels ?
L’espièglerie dont il fait preuve pour mettre en scène, dans des coquilles d’œuf utilisées comme chambres noires, des extraits du Concert dans l’œuf longtemps attribué à Jérôme Bosch ne doit pas faire illusion. Les personnages que l’on voit représentent ces fous décrits par Erasme dont le peintre s’inspira, des êtres insensibles aux mystères de la vie. La photographie, comme la peinture, est au contraire un exercice pour prendre conscience de la réalité de nos existences et méditer sur les apparences représentent ces fous décrits par Erasme dont le peintre s’inspira, des êtres insensibles aux mystères de la vie.
La photographie, comme la peinture, est au contraire un exercice pour prendre conscience de la réalité de nos existences et méditer sur les apparences.

Quand l’image devient geste.

Si le temps est la grande affaire de la photographie, si la traduction qu’en donne Eric Marais sonne souvent comme un memento mori, il en tire cependant d’autres leçons.

La manière dont il pratique le sténopé s’apparente à une performance qu’il décline en dispositifs. Ceux-ci peuvent prendre la forme de masques dont les visions importent moins que l’action nécessaire pour les révéler. Ailleurs, ce sont des Sténopés domestiques accrochés pendant un an dans divers lieux dont les images comptent moins que l’expérience d’être regardé.
Ses installations nous apprennent alors que l’autre grande affaire de la photographie, c’est le corps, celui qu’il faut engager pour que l’acte photographique devienne geste artistique.

Et s’il doit rester des traces de tout cela, Eric Marais veille à ce qu’il s’agisse d’œuvres uniques. Non pas des reliques, mais de beaux objets, de beaux tirages, comme un ultime moyen d’émerveiller.

Sébastien Gazeau - journaliste et critique d’art.